010/22.25.13

Ils apprennent à rendre les morts beaux

 « Je désire apprendre la thanatopraxie depuis que j’ai 16 ans », lance Audrey, une chef de chantier de 28 ans qui suit une formation de thanatopraxie en deux années, via le centre IFAPME de Mons. Cette filière suscite de plus en plus de vocations depuis quelques années. Thanatopraxie : le mot laisse perplexe et résonne de manière bien mystérieuse pour la plupart d’entre nous. Et pourtant, cette discipline nous concerne tous. Son objectif ? Effacer les altérations morphologiques liées à la mort. Elle vise ainsi à retarder la décomposition post mortem et à conserver temporairement le corps d’un défunt dans de meilleures conditions d’hygiène, en attendant son inhumation.

« Je désire pratiquer ce métier car, pour moi, il est important que les proches d’un défunt puissent lui rendre un dernier hommage », ajoute Audrey.  A priori, rien ne prédestinait  la conductrice de travaux à cette discipline. Personne, dans sa famille, n’est entrepreneur de pompes funèbres. « Ce qui m’a poussée vers cette profession, c’est certainement ce cercueil d’un proche que l’on a refermé trop vite et la frustration de ne pas l’avoir vu une dernière fois. » La mort et le contact au quotidien avec des défunts n’effraient pas la jeune femme. « Nous passerons tous par là. J’ai perdu beaucoup de membres de ma famille et puis, il y a cette amie de 19 ans fauchée alors qu’elle allait chercher son diplôme. »

Audrey Minot a déjà effectué plus d’une trentaine de soins. Toute vêtue de noir, le teint pâle et le regard limpide, elle interrompt son propos un instant, pour reprendre son souffle : « Il est vrai qu’on côtoie la mort, mais  pratiquer ce métier me procure un énorme plaisir. »  Tout simplement parce qu’à chaque fois, lorsqu’un thanatopracteur se penche sur une dépouille, c’est avec le même objectif : «Le plus gratifiant, c’est quand la famille du défunt vous félicite, car elle le trouve beau, les traits du visage apaisés, comme s’il dormait. C’est vraiment pour ce moment-là que nous bossons. Pour que la famille conserve un dernier beau souvenir. Tout le travail de deuil repose justement sur cette ultime rencontre.»

Derrière  cette dimension purement esthétique de la thanatopraxie se cache une exigence bien précise : une connaissance rigoureuse de l’anatomie humaine. D’ailleurs, les candidats thanatopracteurs suivent des cours assez poussés dispensés par un légiste. « Parfois, certaines veines, certaines artères ne sont pas très visibles. On doit pouvoir les retrouver assez facilement. Si on reçoit un corps qui a déjà quelques jours, le sang aura forcément coagulé. Alors, pour injecter un produit qui doit voyager dans le système cardio vasculaire, on agit à différents endroits bien précis pour refaire circuler le sang. Tout ça, pour vous dire que le métier a un côté technique indéniable.» Il reste une bonne année de formation à Audrey avant de décrocher son diplôme. « Je ne compte pas abandonner mon emploi dans la construction, mais je pratiquerai la thanatopraxie en tant qu’indépendante complémentaire. »

À autre élève, autre profil. « Je suis née là-dedans. Mes parents sont à la tête de pompes funèbres ». Stéphanie revient de deux semaines de stage à Nice. À 19 ans déjà, elle voulait devenir thanatopracteur.  « Je me suis seulement décidée à suivre cette formation à l’âge de 25 ans. Il faut une  certaine maturité pour toucher à un mort. » Pourtant, la jeune femme se charge de l’accueil des familles de défunts depuis sa tendre enfance. « Je voyais les morts, mais je ne les touchais pas. Le plus dur, ce n’est pas le contact avec eux. Ça, vous vous y habituez très vite. Le plus difficile, c’est le fait de voir les autres pleurer. Quand vous êtes face à la dépouille d’un enfant de trois ou quatre ans ou d’un jeune de votre âge qui s’est tué en voiture, il faut apprendre à faire la part des choses et à relativiser. A la base, j’étais une fille assez sensible. J’ai développé un caractère plus dur, à force de côtoyer la mort au quotidien. Je ne me tracasse plus pour des bêtises. » Une fois diplômée, Stéphanie assumera un rôle polyvalent au sein de l’entreprise familiale, entre tâches administratives, accueille des familles et thanatopraxie.

« Une chose est certaine, il faut aimer le monde des pompes funèbres et savoir être discret par respect pour les défunts et leur famille », affirme Sébastien. Ce jeune homme de 26 ans est commercial et travaille en tant que représentant pour une firme qui vend des fleurs en soie à des entreprises funéraires. « Depuis 5 bonnes années, j’avais envie d’apprendre ce métier. A force de côtoyer le milieu, je me suis lancé. Forcément, lorsque les gens apprennent que je suis cette formation, ça attise pas mal de curiosités. En tout cas, moi, ça m’a aidé à réaliser combien il est important de profiter de ses proches tant qu’ils sont là. »

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