010/22.25.13

Pompes funèbres : L’écoute, la clé du métier

Croque-mort : un métier méconnu, souvent caricaturé. Pourtant, les personnes qui le pratiquent doivent faire preuve de beaucoup d’humanité à un moment aussi crucial et difficile de notre existence que constitue la mort d’un proche. Cédric Moens, Directeur des pompes funèbres Devroye à Wavre, nous livre les ficelles de son activité pas comme les autres.

C’est le genre de lieu au sein duquel l’on ne pénètre pas fortuitement. Ni l’âme légère. Pourtant, lorsque Cédric Moens vous ouvre les portes de l’entreprise Devroye, qu’il dirige à Wavre, on sent que l’accueil est pour lui une seconde peau. Son métier, c’est bien plus qu’un service nécessaire et incontournable de gestion d’enterrements. Il tente d’adoucir ce moment difficile par l’écoute, l’empathie, en allégeant au mieux les formalités et procédures qui entourent le deuil d’un proche.

Comment entre-t-on dans cette activité particulière que sont les pompes funèbres ?

« La manière la plus classique, c’est via une entreprise familiale, de père en fils ? Ici, ce n’est pas tout à fait le cas. Il s’agit bien d’une entreprise familialecréée par Mr Jean Devroye et dont le fils Pascal a repris la gestion en 2001 ? Mais s’il en est toujours propriétaire, il m’en a confié la direction. Mon père, Michel Moens,  travaillait ici depuis 1964. Il a commencé à 14 ans. Au départ, c’était une menuiserie, au sein de laquelle ont débutés des activités de pompes funèbrs, ce qui était courant à l’époque.

Quand j’ai terminé mes études, comme je ne savais pas trop dans quelle direction me diriger, j’ai rejoint l’entreprise. »

Pourquoi la transmission filiale est-elle si importante ?

« Je pense que comme c’est un métier très singulier, il n’est pas particulièrement attirant si on n’est pas né dedans. Personne ne se dit enfant : « Plus tard, je serai croque-mort » ! Un terme que je n’aime pas beaucoup d’ailleurs. Je préfère employé de pompes funèbres, une dénomination un peu plus douce.

Le mieux, c’est d’apprendre le métier sur le tas, même s’il existe des formations (par exemple à l’IFAPM de Charleroi). On y apprend les bases législatives et de comptabilité. Aujourd’hui, cette formation est requise pour pouvoir avoir accès à la profession, ce qui n’était pas le cas avant. »

Ce modèle d’entreprise familiale est-il un atout ?

« Oui, car nous travaillons toujours avec les mêmes personnes. Il existe une solidarité propre à cette atmosphère familiale. Il y a très peu de changements, comparés à de grosses entreprises qui ont davantage une version financière du métier, avec des véhicules qui tournent beaucoup durant la journée. Vous venez un jour pour un décès et, la fois d’après, vous avez affaire à une autre personne ? Ce n’est pas le cas ici. Nous sommes relativement connus dans la région et beaucoup de gens nous appellent par nos prénoms.

Comment arrivez-vous à perdurer, notamment face à la concurrence ?

« La première chose, c’est d’être sérieux. Nous devons garder le cap et nos priorités. Même si l’activité augmente à certains moments, il faut poursuivre notre travail avec les mêmes valeurs et qualités qui font la différence. On ne peut pas se permettre de se tromper dans ce métier. Ce n’est pas la même chose que lorsque l’on vend une voiture par exemple et qu’elle ne fonctionne pas ? Nous, si nous ratons quelque chose, c’est l’humain qui est touché. Et le bouche-à-oreille fait vite son chemin… »

Quand on commence jeune dans le métier, comme vous et votre père, n’est-ce pas difficile d’être confronté à la mort ?

« Jeune, cela ne m’effrayait pas vraiment. Les premiers défunts que j’ai dû aller chercher à domicile ne m’ont pas impressionné, et on m’a toujours laissé le temps de vivre les choses. Je n’ai pas été bousculé, ni par Mr Devroye, ni par mon père. C’est finalement en grandissant et en vieillissant que c’est un peu plus difficile. On considère sa propre vie différemment, surtout par rapport o nos propres enfants. Pour tenir le coup, il faut arriver à compatir sans se laisser trop fortement imprégner par le deuil des clients. C’est finalement plus les histoires que j’entends que la mort elle-même que je trouve difficile.

Quelles sont les qualités essentielles à avoir ?

« Pour les relations humaines, il n’y a pas de formation, on a cela dans nos veines ou pas. C’est un métier qui exige d’être beaucoup à l’écoute des gens, d’avoir de l’empathie et de pouvoir « sentir » les personnes. Certaines ont de la peine mais d’autres pas, d’autres ont besoin de se confier et il faut se montrer patient. Certaines nous racontent leur vie, notamment des femmes veuves qui n’ont plus personne à qui parler. Lorsqu’on les reçoit, elles nous confient les histoires de leur vie avec leur mari et il faut pouvoir écouter. C’est très important. C’est un échange mais il faut aussi pouvoir garder une certaine distance ? On peut rester cordial, donner un avis, mais ne pas oublier que nous sommes dans un cadre professionnel. Au moins jusqu’aux funérailles. Si après on recroise les gens par la suite et que l’on sympathise, ce n’est pas un problème, mais même si l’on voit que le courant passe bien lorsqu’ils viennent nous voir, on doit quand même garder cette réserve. Une distance qui n’est pas toujours évidente ? A nous de ne pas trop nous investir, pour préserver nos propres émotions et sentiments. »

Un peu comme un psychologue ?

« Oui, c’est ma vision du métier en tout cas, tout le monde ne le pratique pas de la même manière. J’ai en très bon contact avec nos clients. Au début de ma carrière, j’ai d’abord effectué les toilettes mortuaires et les transports vers le crématorium à Bruxelles, le plus proche de la région avant la construction de celui de Court-Saint-Etienne. Mais ce que j’apprécie le plus, c’est de rencontrer les gens, leur parler, leur rendre service. Parfois, le service dépasse le travail au sens strict. Si une personne âgée arrive chez nous en taxi, il m’arrive de la reconduire. Ou de l’accompagner au cimetière. D’aller la chercher la chercher avant les funérailles… Ce sont des petits plus qui ne sont pas compris dans notre mission mais que nous faisons avec plaisir, dans ces moments si difficiles. »

Comment faites-vous pour faire face à l’émotion des clients ?

« Lorsque des personnes fondent en larmes devant moi, j’attends que l’émotion retombe. J’arrêtes de parler. Bien souvent, les gens s’excusent et je les rassure, leur offre un verre d’eau…Je leur laisse le temps. Et souvent, lorsque l’on reprend, je ne leur demande pas tout de suite de choisir le cercueil par exemple, je suis attentif à leur rythme. Parfois, l’humour peut aider, à petite dose.

Cela peut détendre l’atmosphère. Mais évidemment, cela dépend des personnes et c’est quelque chose que je sens déjà au téléphone. Avec Les années de métier, je sens très vite si ce seront des personnes strictes, perdues et souvent, mon intuition est juste. »

Quel est l’aspect le plus difficile de votre métier ?

« L’organisation, car nous devons gérer beaucoup de choses en même temps. Ce n’est pas un travail linéaire et pour lequel on peut reporter à demain ce qui n’a pas été fait. Lors d’un décès, si une parution nécrologique doit sortir dans le journal un tel jour, on ne peut pas le remettre au lendemain. Mais surtout, on ne peut pas prévoir le nombre de décès, quelquefois nous en avons trois dans la même journée, d’autres fois aucun. Et lorsqu’il faut rencontrer trois familles dans la même journée, cela exige beaucoup d’organisation et d’anticipation pour que tout soit prêt : depuis la nécrologie, jusqu’aux faire-part, les papiers administratifs…Les plannings sont parfois bousculés. Il n’existe pas d’horaire fixe : si quelqu’un arrive en fin de journée parce que sa maman est décédée, on la reçoit. Il faut finalement être « multi-task ».

Pour les aspects législatifs, nous avons des référents à la commune, en cas de questions. Mais la législation n’évolue pas énormément. Ce n’est pas la dimension la plus compliquée de la profession. »

Les attentes et pratiques des gens ont-elles changé ces dernières décennies ?

« Il y a d’avantage d’incinérations, on cite le chiffre de 60% en Belgique. Nous avons beaucoup plus de questions par rapport aux cendres par exemple, pour les reprendre chez soi ou les disperser. Au niveau des cercueils, il y a des demandes pour des versions plus écologiques, plus simples. L’aspect financier a son importance, mais aussi le fait que si le cercueil doit être brulé, les familles préfèrent mettre l’argent dans autre chose. Il existe aussi de pression sociale et même si certains souhaitent encore opter pour un beau cercueil, c’est moins important qu’auparavant. Avant, il y avait des enterrements de première, deuxième et troisième classe, selon le type de corbillard utilisé, l’ornementation. Aujourd’hui, cette différentiation n’existe plus. Ce qui peut différencier des funérailles, c’est le choix du cercueil ou le nombre de personnes à la cérémonie, exigeant davantage de personnel. »

Y a-t-il des demandes d’embaumement et de cercueils ouverts lors des visites ?

« Nous n’avons quasiment plus de service d’embaument, hormis pour les corps qui doivent voyager pour l’étranger. Par contre, il y a encore une demande pour des cercueils avec le cercueil ouvert. On donne alors les soins, ce qui permet de préserver les défunts 4 ou 5 jours. »

Les gens prévoient-ils leurs funérailles ?

« Oui, de plus en plus. Les personnes prennent une assurance ou viennent se renseigner du coût de leurs funérailles afin de prévoir un budget. Des dépenses évitées pour leurs descendants, et la certitude de voir leurs choix respectés. Nous offrons ce service mais il existe la possibilité de déposer ses dernières volontés à l’administration communale, les pompes funèbres sont, dès lors, tenues de les respecter. Cela concerne principalement les questions d’inhumation, d’incinération, de cérémonie religieuse ou  non, et permet aux enfants de ne pas devoir gérer ces questions durant ce moment difficile. Ces démarches sont moins taboues, nous recevons désormais des personnes à ce sujet quasi chaque semaine, il s’agit d’une nouvelle dimension du métier.

Vous travaillez aussi avec le CPAS de Wavre pour l’enterrement de leurs bénéficiaires ?

« Oui, c’est une dimension sociale de notre activité.

Nous participons à l’appel d’offres du CPAS de Wavre et nous l’avons à nouveau remporté cette année. Nous ne gagnons rien au niveau financier, puisque les coûts sont alors serrés, mais cela permet d’offrir un service digne et égal pour toutes les personnes qui ne peuvent s’offrir des funérailles. Un engagement qui nous tient à cœur. »

Pensez-vous que la série « six feet under » qui se déroule dans le cadre d’une famille qui pratique les pompes funèbres, a changé la vision du public sur votre activité ?

Oui, j’ai adoré cette série. C’est une vision américaine du métier. Mais cela a permis de donner une autre vision de notre travail et, notamment, d’intéresser des plus jeunes à la profession. Je m’y retrouve dans certains aspects, notamment l’écoute, les difficultés financières des gens… »

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